vendredi 23 mars 2018

Je respire où tu palpites

Je respire où tu palpites,
Tu sais ; à quoi bon, hélas !
Rester là si tu me quittes,
Et vivre si tu t’en vas ?


À quoi bon vivre, étant l’ombre
De cet ange qui s’enfuit !
À quoi bon, sous le ciel sombre,
N’être plus que de la nuit ?
Je suis la fleur des murailles
Dont avril est le seul bien.
Il suffit que tu t’en ailles
Pour qu’il ne reste plus rien.
Tu m’entoures d’auréoles ;
Te voir est mon seul souci.
Il suffit que tu t’envoles
Pour que je m’envole aussi.
Si tu pars, mon front se penche ;
Mon âme au ciel, son berceau,
Fuira, car dans ta main blanche
Tu tiens ce sauvage oiseau.
Que veux-tu que je devienne,
Si je n’entends plus ton pas ?
Est-ce ta vie ou la mienne
Qui s’en va ? Je ne sais pas.
Quand mon courage succombe,
J’en reprends dans ton cœur pur ;
Je suis comme la colombe
Qui vient boire au lac d’azur.

L’amour fait comprendre à l’âme
L’univers, sombre et béni ;
Et cette petite flamme
Seule éclaire l’infini.

De La Femme Au Ciel

L'âme a des étapes profondes. 
On se laisse d'abord charmer, 
Puis convaincre. Ce sont deux mondes. 

Comprendre est au-delà d'aimer.
Aimer, comprendre : c'est le faîte. 
Le Coeur, cet oiseau du vallon, 
Sur le premier degré s'arrête ; 
L'Esprit vole à l'autre échelon.
À l'amant succède l'archange ; 
Le baiser, puis le firmament ; 
Le point d'obscurité se change 
En un point de rayonnement.
Mets de l';amour sur cette terre 
Dans les vains brins d'herbe flottants. 
Cette herbe devient, ô mystère ! 
Le nid sombre au fond du printemps.
Ajoute, en écartant son voile, 
De la lumière au nid béni. 
Et le nid deviendra l'étoile 
Dans la forêt de l'infini.

Victor Hugo De La Femme Au Ciel

La pauvre fleur disait au papillon céleste

La pauvre fleur disait au papillon céleste :
- Ne fuis pas !
Vois comme nos destins sont différents. Je reste,
Tu t'en vas !
Pourtant nous nous aimons, nous vivons sans les hommes
Et loin d'eux,
Et nous nous ressemblons, et l'on dit que nous sommes
Fleurs tous deux !
Mais, hélas ! l'air t'emporte et la terre m'enchaîne.
Sort cruel !
Je voudrais embaumer ton vol de mon haleine
Dans le ciel !
Mais non, tu vas trop loin ! - Parmi des fleurs sans nombre
Vous fuyez,
Et moi je reste seule à voir tourner mon ombre
A mes pieds.
Tu fuis, puis tu reviens ; puis tu t'en vas encore
Luire ailleurs.
Aussi me trouves-tu toujours à chaque aurore
Toute en pleurs !
Oh ! pour que notre amour coule des jours fidèles,
Ô mon roi,
Prends comme moi racine, ou donne-moi des ailes
Comme à toi !

Victor Hugo La pauvre fleur disait au papillon céleste

jeudi 22 mars 2018

A une Femme

Enfant ! si j’étais roi, je donnerais l’empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux
Et ma couronne d’or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous !
Si j’étais Dieu, la terre et l’air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L’éternité, l’espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser
de toi !

Victor Hugo A une Femme

Amour secret


Ô toi d'où me vient ma pensée,
Sois fière devant le Seigneur !
Relève ta tête abaissée,
Ô toi d'où me vient mon bonheur !

Quand je traverse cette lieue
Qui nous sépare, au sein des nuits,
Ta patrie étoilée et bleue
Rayonne à mes yeux éblouis.

C'est l'heure où cent lampes en flammes
Brillent aux célestes plafonds ;
L'heure où les astres et les âmes
Échangent des regards profonds.

Je sonde alors ta destinée,
Je songe à toi, qui viens des cieux,
A toi, grande âme emprisonnée,
A toi, grand coeur mystérieux !
Victor Hugo Amour secret

Amour


Amour ! Loi, dit Jésus. Mystère, dit Platon.
Sait-on quel fil nous lie au firmament ? Sait-on
Ce que les mains de Dieu dans l’immensité sèment ?
Est-on maître d’aimer ? Pourquoi deux êtres s’aiment,
Demande à l’eau qui court, demande à l’air qui fuit,
Au moucheron qui vole à la flamme la nuit,
Au rayon d’or qui vient baiser la grappe mûre !
Demande à ce qui chante, appelle, attend, murmure !
Demande aux nids profonds qu’avril met en émoi !
Le cœur éperdu crie : Est-ce que je sais, moi ?
Cette femme a passé : je suis fou. C’est l’histoire.
Ses cheveux étaient blonds, sa prunelle était noire ;
En plein midi, joyeuse, une fleur au corset,
Illumination du jour, elle passait ;
Elle allait, la charmante, et riait, la superbe ;
Ses petits pieds semblaient chuchoter avec l’herbe ;
Un oiseau bleu volait dans l’air, et me parla ;
Et comment voulez-vous que j’échappe à cela ?
Victor Hugo Amour

A la belle impérieuse

L’amour, panique

De la raison,
Se communique
Par le frisson.

Laissez-moi dire,
N'accordez rien.
Si je soupire,
Chantez, c'est bien.

Si je demeure,
Triste, à vos pieds,
Et si je pleure,
C'est bien, riez.

Un homme semble
Souvent trompeur.
Mais si je tremble,
Belle, ayez peur.
Victor Hugo A la belle impérieuse

Il lui disait vois tu...

Il lui disait : « Vois-tu, si tous deux nous pouvions, 
L'âme pleine de foi, le coeur plein de rayons, 
Ivres de douce extase et de mélancolie, 
Rompre les mille noeuds dont la ville nous lie ; 
Si nous pouvions quitter ce Paris triste et fou, 
Nous fuirions ; nous irions quelque part, n'importe où, 
Chercher loin des vains bruits, loin des haines jalouses, 
Un coin où nous aurions des arbres, des pelouses ; 
Une maison petite avec des fleurs, un peu 
De solitude, un peu de silence, un ciel bleu, 
La chanson d'un oiseau qui sur le toit se pose, 
De l'ombre ; — et quel besoin avons-nous d'autre chose?"

Victor Hugo Il lui disait vois tu...

Hermina

J'atteignais l'âge austère où l'on est fort en thème,
Où l'on cherche, enivré d'on ne sait quel parfum,
Afin de pouvoir dire éperdument Je t'aime !
Quelqu'un.

J'entrais dans ma treizième année. Ô feuilles vertes !
Jardins ! croissance obscure et douce du printemps !
Et j'aimais Hermina, dans l'ombre. Elle avait, certes,
Huit ans.

Parfois, bien qu'elle fût à jouer occupée,
J'allais, muet, m'asseoir près d'elle, avec ferveur,
Et je la regardais regarder sa poupée,
Rêveur.

Il est une heure étrange où l'on sent l'âme naître ;
Un jour, j'eus comme un chant d'aurore au fond du coeur.
Soit, pensai-je, avançons, parlons ! c'est l'instant d'être
Vainqueur !

Je pris un air profond, et je lui dis : - Minette,
Unissons nos destins. Je demande ta main. -
Elle me répondit par cette pichenette :

- Gamin !
Victor Hugo Hermina

Dans l'église, 15 février 1843

Aime celui qui t'aime, et sois heureuse en lui.
- Adieu! - sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre !
Va, mon enfant béni, d'une famille à l'autre.
Emporte le bonheur et laisse-nous l'ennui !
Ici, l'on te retient; là-bas, on te désire.
Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.
Donne-nous un regret, donne-leur un espoir,
Sors avec une larme! entre avec un sourire !

Victor Hugo Dans l'église, 15 février 1843.
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